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Manifeste pour un territoire cyclable

Paris parallèle

Une carte inédite

Cette carte dresse des Environs de Paris un portrait singulier, bien différent de celui des cartes habituelles. Conçue à l’intention des cyclistes et des promeneurs qui cherchent leur chemin à l’écart des grands axes et de la frénésie automobile, elle s’attache à mettre en lumière la trame des voies mineures, tandis que le réseau principal passe au second plan. Le relief, obsession instinctive du cycliste, apparaît quant à lui en couleurs, comme sur les cartes physiques, révélant la structure fondamentale du territoire de préférence aux modes d’occupation des sols. Enfin, le recensement du patrimoine ancien et moderne fournit des points de repères essentiels et éclaire les formes urbaines, les logiques d’implantation des sites et leurs dynamiques historiques.

 

Pour la première fois, peut-être, le réseau viaire est représenté du point de vue des cyclistes. Sur le plan symbolique, trois niveaux hiérarchiques permettent de distinguer le réseau protégé de la circulation motorisée (en vert), le réseau partagé, mais apaisé (en noir) et les grands axes (en rouge). En ce qui concerne le réseau non goudronné, laissé pour compte des cartes routières mais paradis du promeneur, on s’est efforcé d’être le plus complet possible. Signalons à ce titre la carte d’activités publiée par Strava®, qui nous a permis d’intégrer des chemins absents de la carte topographique. En sens inverse, par exigence de lisibilité, on s’est appliqué à épurer le tissu urbain des voies de desserte et de lotissement, afin de n’en conserver que celles qui font chemin.

 

Grâce à ce renversement de point de vue, la structure de la trame viaire mineure émerge enfin, en lecture directe. Elle est composée de réseaux d’échelles et de natures très différentes. Les motifs caractéristiques des forêts et des parcs – régularité des tracés classiques, arabesques des jardins à l’anglaise et des cordons forestiers – captent le regard. Puis c’est la panoplie des formes urbaines : villes historiques, lotissements et cités-jardins dont les dessins évoquent les grands domaines d’hier, structures complexes des villes nouvelles. A l’échelle du territoire régional, enfin, se détache la toile fine et régulière des chemins anciens, avec ses lignes ondoyantes, tissées de clocher à clocher.

Paris parallèle

Sur la carte comme sur le terrain, les chemins anciens se démarquent très nettement des voies modernes, déployées à partir de la fin du XVIIème siècle. Leurs tracés organiques, guidés par le relief, leurs gabarits étroits qui se resserrent dans les faubourgs et les cœurs de ville, leur diversité architecturale contrastent avec l’ampleur, la régularité et l’unité formelle des voies classiques ou haussmanniennes. Ils constituent, dans les centres anciens, les vestiges de cet espace de contact, que Françoise Choay oppose à l’espace de spectacle de l’Ancien Régime, à l’espace de circulation caractéristique de la ville du XIX° siècle et aux espaces de connexion – de branchement – de l’espace contemporain.

Loin d’avoir survécu de façon isolée, ces vieux chemins forment toujours un réseau dense et cohérent, largement autonome vis-à-vis des grands axes. Paris illustre cette dualité de façon saisissante : en contrepoint du réseau haussmannien, qui leur a été ajouté par percement – les élargissements constituant l’exception plutôt que la règle – les voies historiques du Vieux Paris dessinent un système de circulation parallèle, dissimulé derrière les façades régulières des boulevards comme derrière un rideau de théâtre. Une douzaine de radiales solidement ancrées dans la mémoire collective composent une structure très lisible ; fixées à l’époque médiévale, elles se ramifient dans les faubourgs et traversent la ville dans sa profondeur historique. À l’extérieur des anciennes enceintes médiévales, une série de transversales, d’urbanisation plus uniforme, complète le maillage.

Réparer le territoire

Autour de Paris, la trame des voies anciennes a subi une déstructuration parfois très sévère à partir des années 1950. À l’ère de l’automobile, en dépit des théories de séparation des flux, l’urbanisme moderne néglige la pertinence d’un réseau mineur continu à travers le territoire. Les voies rapides, les enclaves fonctionnalistes et le remembrement agricole sectionnent, effacent ou privatisent de nombreux chemins secondaires, de sorte que le réseau ancien ne subsiste, trop souvent, que par lambeaux disjoints. Hier encore perméable, le territoire est désormais cloisonné, morcelé – tributaire des modes motorisés.

La renaissance des mobilités actives nous invite à renverser ce paradigme pour faire des voies anciennes, mineures, le vecteur privilégié des déplacements à vélo ou à pied. Contrairement au déploiement coûteux et conflictuel de pistes cyclables sur les grands axes, ce chantier ne nécessite d’infrastructures que de façon ponctuelle. Il consiste, avant tout, à se placer dans une logique de réparation du territoire, pour achever de libérer le réseau existant de la domination encore excessive de l’automobile, d’une part, et rétablir un certain nombre de liaisons structurantes, d’autre part.

En ville, la politique d’apaisement la circulation automobile sur le réseau mineur tient en trois points : généralisation du double-sens cyclable, déviation des flux de transit automobile résiduels par le jeu des sens interdits alternés, suppression du stationnement latéral continu. Depuis la loi de 2008 sur les zones 30, elle a progressé de façon spectaculaire, même si l’on est encore bien trop timide sur la question du stationnement, auquel l’espace de la ville est, partout en France, sacrifié, comme l’illustrent tant de places publiques. Sans aller jusqu’à la piétonnisation, qui renforce trop souvent les logiques de spécialisation de l’espace au détriment de la diversité des usages, cette approche suffirait à rendre aux voies urbaines historiques leur convivialité et leur vocation circulatoire – à réconcilier, enfin, urbanité et circulation...

Du côté de la réparation et du perfectionnement du réseau existant, la reconversion d’infrastructures comme les aqueducs et les voies ferrées désaffectées, aux dénivelés optimaux, est bien identifiée – de même que l’intégration des parcs, des forêts, des cours d’eau et des espaces agricoles au système de circulation douce. Malgré la résistance de certaines collectivités territoriales, le mouvement de bascule est engagé. Beaucoup plus rares, en revanche, sont les projets de rétablissement de liaisons anciennes, interrompues par des infrastructures ou inconsidérément privatisées. À l’image du franchissement du périphérique par la rue de la Tombe-Issoire ou de la réouverture du chemin des Poissonniers entre le cimetière de St-Ouen et le centre de maintenance de la SNCF, ils offrent pourtant aux cyclistes et aux piétons la perspective d’un réseau idéal : dense, lisible, apaisé, inscrit dans la ville et ancré dans l’histoire.

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